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Baby blues, par Nicolas Journet

Le Fils de l’autre

On pouvait penser qu’Étienne Chatiliez avait fait le tour la thématique de l’échange de bébés. Lorraine Levy reprend le flambeau sur un mode plus dramatique. Cette fois, ce n’est plus un riche et un pauvre qui sont inversés, mais un Palestinien et un Israélien… En s’appuyant sur un présupposé aussi boiteux, le film sombre inévitablement dans la guimauve, tout juste est-il sauvé du naufrage par ses acteurs.

Il y a des idées qui font et vont faire les beaux jours du septième art. Le triangle amoureux est par exemple une valeur sûre, indémodable, et cela ne se démentira sans doute pas dans les films à venir. De même pour la relation fils/père, ou bien pour le retour au pays. Ce sont des classiques, parfois des clichés, mais qui renvoient à des problématiques universelles. C’est pour cela que ces schémas se répètent sur grand écran, ils parlent du plus profond de l’humain.
Et puis, il y a des idées plus gadget, des principes de scénario qui permettent juste de faire un bon pitch et parfois un bon film. Ce sont souvent des bases de comédie, genre plus propice aux quiproquos et aux portes qui claquent. Du moment où elles sont utilisées une fois, comme tout bon produit, ces idées sont jetées au rebut, définitivement ou pendant un temps assez long, proportionnel au succès rencontré par le film issu du même tonneau. Par exemple, après Intouchables . vous ne verrez pas un duo comique fondé sur le handicap avant des années. la comparaison serait trop évidente.
Selon ce principe, on pouvait penser que La vie est un long fleuve tranquille avait sonné le glas en France d’une narration basée sur un échange de bébés, concernant bien sûr deux groupes forcément antagonistes (comme s’il était nécessaire de forcer le trait sur un drame humain qui se suffirait déjà à lui-même comme base de fiction). Et bien Lorraine Levy n’en a cure et se sert cette fois de l’inversion de progéniture pour parler du conflit israélo-palestinien.

Il y a une telle naïveté dans ce point de départ qu’elle en est désarmante. User d’un tel procédé dramatique pour rapprocher cinématographiquement deux peuples en guerre depuis des décennies a quelque chose de sidérant. Il en faut d’ailleurs, des contorsions avec le réel à grands renforts de dialogues explicatifs, pour le rendre plausible. L’échange aurait eu lieu à Haïfa, pendant la guerre en Irak (ce qui expliquerait l’absence du père militaire), alors qu’une attaque de Scuds menaçait la ville (ce qui justifie l’évacuation de l’hôpital). Leïla (la mère palestinienne) se trouvait elle par hasard dans la même cité venant rendre visite à sa sœur. La vie emprunte souvent d’étranges chemins de traverse, mais tout de même…
Le reste du film est à l’avenant. Pour justifier que la moitié des acteurs parlent français, on invente à la mère juive (Emmanuelle Devos) et à son vrai-faux fils Yacine (charmant Mehdi Dehbi) une vie en France, conjuguée au passé pour elle, au présent pour lui (un cas d’ailleurs bien atypique. peu d’enfants palestiniens doivent passer leur bac à Paris). Pour marquer une filiation, on découvre qu’un don pour la musique serait génétique. Et quand on aborde de front les questions politiques qui fâchent, les deux pères s’envoient à la figure quelques arguments niveau géopolitique pour les nuls avant de vite baisser le ton. Bref, le film ne fait que broder sur la réalité, sans vouloir vraiment la retranscrire.

D’accord, Lorraine Levy filme le mur séparant les deux peuples. Ces scènes sont d’ailleurs saisissantes, évoquant d’autres murs, d’autres histoires tragiques. Cependant, la réalisatrice se refuse à traiter des barrières qui ferment les cœurs. Ce n’est pas une maladresse, mais un point de vue assumé. Le scénario original se terminait ainsi par un attentat. Lorraine Levy a refusé de tourner cette fin, trop attendue selon elle, voulant que son film échappe à une « violence d’usage ». Cela se défend, bien qu’à l’échelle du film cette volonté de prendre une sorte de parti pris de la douceur revient à glisser lentement mais sûrement vers la guimauve la plus indigeste.
Dans Le Fils de l’autre. à grand renfort de séquences lourdes de sens, Lorraine Levy défend ainsi l’idée que la « femme est l’avenir de l’homme, que si les femmes font alliance, elles peuvent pousser les hommes à être meilleurs ». En voilà, une idée bien simpliste, bien consensuelle, et qui s’avère surtout contre-productive cinématographiquement parlant. Filmer des hommes taiseux d’un côté, et des femmes douées d’une incroyable capacité d’adaptation de l’autre, ne pousse pas à creuser les failles des personnages, à ce que bouleverse en eux la découverte tout de même fracassante que leur enfant n’est pas le leur. Ils en sont réduits à agir ou réagir en fonction de comportements calqués sur leur sexe, trop pavloviens pour émouvoir.

Voulant porter à l’écran un « message d’ouverture », adhérant aux écrits de l’écrivain israélien Amos Oz qui considère que « la seule solution au conflit israélo-palestinien réside dans un compromis historique où chacun recevrait une partie de ce qu’il estime lui appartenir », Lorraine Levy se piège dans sa rhétorique, reste à la lisière de son sujet. Elle tourne autour comme semble vouloir le dire ses mouvements de caméra, souvent en demi-cercle, souvent en panoramique.
Sa caméra ne rentre pas dans l’histoire, comme avait pu le faire Incendies il y a peu sur des thèmes proches, long-métrage qui assumait lui pleinement la noirceur de sa tragédie. Elle glisse, superficielle, refusant à la fois de se poser et d’imposer un cadre, ou de s’installer dans le décor – à l’exception de deux ou trois scènes plus saillantes comme celle où Joseph (Jules Sitruk) noie son chagrin en discothèque.

« Un film, c’est un dialogue avec celui qui fait la démarche de venir à sa rencontre », explique Lorraine Levy dans le dossier de presse. « C’est un moyen de vivre et de comprendre l’humanité de l’Autre. » Comment ne pas être d’accord avec elle. Et pourtant cette assertion contient toutes les limites de tout un cinéma français mainstream qui traite du bout de la caméra des sujets brûlants, lorgnant davantage vers un passage en prime time que vers la salle obscure. Le plus grand nombre est d’emblée visé, aplanissant par nécessité les aspérités, dans une volonté de faire neutre qui méprise la qualité de regard du spectateur.
Sur une autre opposition, entre riches et pauvres, le récent Elena démontre que le filmage réaliste et non enjolivé, humain pour le coup jusque dans la médiocrité, d’une lutte de classes est bien plus tranchante quand elle renvoie à notre propre condition et non celles des « Autres ». Ce cinéma-là, certes plus exigeant mais ô combien plus nourrissant, est plus introspection et que projection, écarte les évidences (les femmes sont gentilles, la guerre c’est mal…) pour poser la question fondamentale du choix. Ce n’est plus le rassurant « et si j’étais eux. » mais le bien plus terrifiant « qui suis-je. ».

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